Urbanisme : Indemnisation du manque à gagner en cas de refus de permis annulé
Toute illégalité fautive de l’administration étant de nature à ouvrir droit à réparation du préjudice subi, le Conseil d’Etat a, par un arrêt du 15 avril 2016, clarifié les conditions d’indemnisation du préjudice du manque à gagner résultant d’un refus illégal d’un permis de construire.
Dans les faits, une société a déposé une demande de permis de construire sur un terrain ayant fait l’objet d’un compromis de vente, afin d’y construire des logements collectifs, ce compromis prévoyant une condition suspensive concernant la réitération de la vente à l’obtention du permis. Par un arrêté du 18 décembre 2007, le maire a refusé d’accorder le permis de construire.
La société a saisi le Tribunal administratif en vue de l’annulation de ce refus et le Tribunal a annulé ce refus.
La société a alors engagé la responsabilité de la Commune devant le Tribunal administratif aux fins d’obtenir l’indemnisation des frais d’architecte, mais également du manque à gagner pour la non-réalisation de l’opération projetée, qu’elle a évalué à 180.000€ au titre du bénéfice qu’elle pouvait raisonnablement attendre de l’opération.
Dans un jugement du 10 juin 2011, le tribunal a rejeté la requête au motif que les préjudices subis seraient imputables à une faute de la société n’ayant pas renoncé à la condition suspensive relative à l’obtention d’un permis de construire.
La société a interjeté appel de ce jugement et, par un arrêt du 14 juin 2013, la Cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement et a condamné la Commune à verser à la société la somme de 209 900 euros, pour les motifs suivants :
- il existe bien un lien de causalité direct entre l’illégalité du refus, et les préjudices résultant de l’impossibilité de mettre en œuvre le projet immobilier,
- les préjudices allégués ne peuvent être regardés comme imputables à une faute commise par la société du fait qu’elle n’avait pas renoncé à la condition suspensive d’obtention du permis de construire.
La Commune a introduit un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt et, par un arrêt du 15 avril 2016, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour.
D’une part, le Conseil d’Etat a rappelé la règle classique selon laquelle l'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués, de sorte que la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, par conséquent, en principe, ouvrir droit à réparation.
D’autre part, le Conseil d’Etat a estimé que le juge d’appel ne pouvait se borner, pour admettre le préjudice tiré du manque à gagner, à se fonder sur un rapport d’expertise qui avait évalué son montant sur la base d’une opération similaire réalisée dans les communes voisines, « sans rechercher si les circonstances particulières de l'espèce permettaient de faire regarder ce préjudice comme ayant un caractère direct et certain ».
Ce faisant, le Conseil d’Etat a estimé que :
« que l'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués ; que la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation ; qu'il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain ; qu'il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération ».
Ainsi, si par principe une telle situation ne saurait ouvrir droit à indemnisation, le Conseil d’Etat admet toutefois que l’existence de « circonstances particulières » tels des engagements souscrits par les futurs acquéreurs, ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers permette de regarder le préjudice comme direct et certain et ouvre droit à réparation résultant du manque à gagner.
Conseil d'État, 15 avril 2016, n° 371274, mentionné aux tables